Épisode 008

À mon corps défendant

10 novembre 2017

Vignette de l'épisode

"Hello thinness, my old friend..."

Est-ce que je me préfère comme je suis aujourd'hui, ou comme l'image que cette photo de moi d'il y a presque vingt ans me renvoie en pleine figure ?

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Transcription

Afin de faciliter l'accès à ce podcast aux personnes sourdes et malentendantes, chaque épisode de "J'aime Pas Ma Voix" est aussi disponible au format texte.

Néanmoins, les émotions et les intentions ne sont pas retranscrites, afin de laisser l'espace nécessaire à l'interprétation de chacun•e.

Mi-février 2016, j'ai participé avec cinq autres personnes à la seconde édition française de Mortified, ce concept venu des États-Unis où des adultes consentants montent sur scène (et parlent donc devant un public) pour raconter des souvenirs personnels et surtout embarrassants de leur adolescence, à l'aide d'extraits de journaux intimes, poèmes, etc.

Une très chouette expérience pendant laquelle j'ai pu raconter très simplement un extrait de la correspondance que j'avais eue auparavant avec cette fille avec qui je voulais sortir quand j'avais 16-17 ans, sans que la réciproque soit vraie.

Et je me souviens encore des rires dans la salle au moment de l'anecdote dévoilant qu'un soir, j'avais "offert" un Palmito cassé en deux, en disant à celle que j'essayais de courtiser que c'était la moitié de mon coeur, et qu'il fallait qu'elle en prenne soin.

Durant la phase de préparation de ce monologue scénique d'une dizaine de minutes, j'ai dû replonger dans mes archives photographiques pour retrouver des traces de cette époque, puisque la mise en scène originale prévoyait aussi d'afficher sur un écran géant, certaines preuves compromettantes de mon récit.

Et c'est ainsi que je suis retombé sur cette photo de moi, sur cette plage en Bretagne, tirant la langue entre mon appareil dentaire...
... Et surtout beaucoup de kilos en moins.

Cette preuve que pendant presque dix-huit ans, j'ai eu ce corps-là.
Un corps "mince".

Vraisemblablement, tout a basculé lorsque j'ai fui le domicile familial après une énième engueulade.
Celle de trop.
Celle qui m'a amené à me réfugier d'abord chez des amis proches, puis chez ma copine de l'époque.

Et quelques mois après, je me souviens de ce jour où j'ai croisé mon frère, distant, en colère, mais aussi triste que moi de la situation.
Je me souviens de ces mots : "T'as grossi."
Et de ma réponse.

Ou plutôt, de mon absence de réponse, de ma justification bafouillée, comme pris en faute.
"Ben oui, je mange quoi."

Parce que oui, je mangeais.
De bonnes lasagnes.
Vraiment bonnes.
Préparées par la mère de ma copine.

Cette mère merveilleuse, du Nord, qui faisait toujours à manger pour 10 personnes alors qu'on était 4 ou 5.
Cette mère qui disait "Mais mange, ressers-toi si tu veux, fais-toi plaisir" avec un vrai sourire aux lèvres.
Cette mère qui me rappelait forcément la mienne, parce qu'elle était tout simplement gentille avec tout le monde.

Donc ouais, je mangeais.
Pas pour combler un manque, mais juste parce que c'était bon.
Et j'ai pris du poids, sans m'en rendre vraiment compte.

Parce que oui, ma nouvelle indépendance était aussi l'occasion pour moi de m'habiller désormais comme je voulais, donc à m'acheter de nouvelles fringues.
Pile au moment où le baggy, les vêtements larges étaient à la mode.
Les années 2000.

Je n'ai pas eu la phase où je me suis dit un "Tiens, je ne rentre plus dans mes anciens vêtements" qui aurait pu m'alerter, puisque tout était désormais nouveau dans ma vie d'adulte.

Je ne me regardais pas dans un miroir parce que je n'en avais pas sous les yeux.
Je ne me pesais pas parce que je n'avais jamais eu à le faire.
Je m'en foutais complètement.
Et je m'en fous encore aujourd'hui.

Alors bien sûr, on pourrait me dire que c'est facile de s'en foutre quand on est un homme, vu que jamais la société ou la mode ne nous pousse à faire attention au moindre gramme de trop.

Sauf que si.
C'est moins flagrant, moins violent, mais si.

En 2009, j'avais écrit sur mon blog comment d'un coup, les magasins dans lesquels j'allais, comme Celio, Jules, H&M, avaient petit à petit mis au placard leurs plus grandes tailles masculines.

Là où avant, il me suffisait de prendre dans les plus grandes tailles de pantalon, de constater que c'était manifestement trop large et de m'amuser à sortir de la cabine pour revenir avec quelque chose de plus convenable, il m'était désormais difficile de trouver quelque chose qui arrivait à s'accommoder de mes grosses cuisses.

Voilà.
L'ère du Slim était déjà arrivée.
J'étais donc prié de faire désormais un effort, ou de me cacher chez Kiabi et C&A.

Et c'est donc à cette époque que j'ai commencé à dire "OK. Donc : je suis gros".
Pour entendre mes amis dire, soucieux de ne pas me froisser : "Non, t'es pas gros, t'as juste des kilos en trop. T'as des formes. C'est pas ça, 'être gros'."

Pour me poser finalement une question que beaucoup connaissent :
"C'est quoi, être gros ?"

Pas dans le sens médical du terme.
Je n’ai pas envie qu'on me réponde un truc sur le rapport masse, taille, âge.

À parti de quand, dans les yeux de tout le monde, ça y est, on est gros ?
Et à quel moment ça fait de nous des parias ?

Pour être totalement honnête, je me préfère largement aujourd'hui qu'il y a 20 ans.
Je n'irais pas jusqu'à dire que je ne changerais rien, ou que c'était complètement volontaire de ma part...
Mais aujourd'hui comme hier en fait, ça va.

À vrai dire, j'estime aujourd'hui que mon propre corps est une preuve du désintérêt relatif que j'apporte à la question du physique des autres.
Ça n'a jamais été un critère sélectif pour moi parce que je ne supporte pas l'idée que ça puisse l'être dans l'autre sens.

Je ne fais pas non plus de mon poids proche de la centaine de kilos un combat, ou une déclaration de guerre contre une certaine hypocrisie ambiante.
Mais je suis relativement en paix avec moi-même et avec mes convictions, justement parce que j'ai ce corps-là.

Un corps "pas mince".

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