Épisode 005

17 décembre 2012

13 octobre 2017

Vignette de l'épisode

"I am what I am. I don't want praise. I don't want pity."

Est-il vraiment important de connaître mon orientation sexuelle ou mon genre pour s'adresser à moi ?

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Transcription

Afin de faciliter l'accès à ce podcast aux personnes sourdes et malentendantes, chaque épisode de "J'aime Pas Ma Voix" est aussi disponible au format texte.

Néanmoins, les émotions et les intentions ne sont pas retranscrites, afin de laisser l'espace nécessaire à l'interprétation de chacun•e.

Tu te souviens de ce que tu faisais fin 2012, juste avant la fin du monde ?

Moi par exemple, le 17 décembre, je changeais pour la cinquante-cinquième fois en cinq ans ma photo de profil Facebook, et même si j'avais dans l'idée que cet acte n'était pas si innocent que cela, je n'imaginais pas que j'en parlerais encore aujourd'hui, cinq ans plus tard.

Alors, une fois de plus, replaçons un peu les choses dans leur contexte :

La veille, le 16 décembre donc, je manifestais pour la première fois de ma vie dans les rues de Paris en faveur du mariage pour tous.
Logique.
J'avais d'ailleurs récupéré pour l'occasion un t-shirt avec l'inscription "Gay O.K" en très gros sur le devant; ledit t-shirt ayant été gracieusement offert quelques jours auparavant par la sulfureuse marque American Apparel dans ses deux boutiques parisiennes, sous couvert d'une publicité déguisée à moindre coût, bla bla bla...

... on s'en fout.
Là n'est pas la question.

Non, l'important ici, c'est que le 17 décembre 2012 donc, j'ai posté cette nouvelle photo de profil de ma petite personne portant fièrement ce T-shirt noir à écriture blanche, juste pour dire à la face de mon monde virtuel que j'étais bien évidemment favorable à la loi.
Ni plus.
Ni moins.

Et pourtant, juste après ça, j'ai reçu un coup de téléphone d'une cousine avec qui je n'avais que très peu de contact, et qui me demandait prudemment si j'allais bien et, de façon tout sauf implicite, pas très naturelle, mais quand même assez élégante, si j'avais quelque chose à dire...

J'ai répondu que j'allais bien.
Puis j'ai pris de ses nouvelles.
Et c'est tout.
Voilà.

Faisons maintenant un petit saut dans le temps.

Nous sommes le samedi 17 octobre 2015, soit presque trois ans plus tard, et je bois un verre avec de nouveaux amis dans un bar plein à craquer.
Et alors que je parle très fort avec une fille du groupe, de tout et de rien, de la vie de couple, etc... elle m'interrompt en me disant "Je peux te poser une question ?", comme si ça la démangeait depuis au moins dix bonnes minutes.

Et je souris.
Parce que je sais déjà ce qu'elle va me demander, parce qu'on m'a déjà posé cette même question des dizaines de fois auparavant.

"Est-ce que t'es gay ?"

Et là donc, je lui sors mon discours bien rodé que jusqu'à preuve du contraire, je ne pensais pas l'être, que manifestement, mes anciennes petites amies n'avaient pas rompu avec moi pour cette raison... mais que qui sait, peut-être qu'un jour, je tomberais fou amoureux d'un garçon... et que de toute façon, dans mon for intérieur, j'imaginais que tout le monde était potentiellement bi.

Sauf que là, dans le genre "sa réponse va vous étonner", j'ai été plus que servi, parce qu'elle m'a balancé juste après, deux points, ouvrez les guillemets :

"Mouais. Non. Je pense que t'es gay, mais que tu ne le sais pas encore."

Et je me suis ainsi retrouvé dans une position assez désagréable où je tentais d'expliquer que non, elle se trompait, que ce n'était pas grave, tout en essayant de faire comprendre que je n'aurais aucun souci avec cette idée si elle avait été plausible dans mon cas.

Enfin bref.

Dernier saut dans le temps maintenant, plus proche de nous : Avril 2017.

Une fois n'est pas coutume, mon père se souvient de la date exacte de mon anniversaire et m'appelle le jour même.
J'avoue, je ne l'avais pas vu venir celle-là.

Comme d'habitude par contre, et chose qui finalement me rassure, il y a toujours ce foutu décalage entre la relation père-fils qu'il imagine avoir avec moi, et la réalité des faits.

Et comme d'hab' aussi, pendant notre quinzaine de minutes annuelle, il me pose toutes ces questions auxquelles je réponds bien sûr un peu dans le vide, puisqu'il m'interrompt dès que ma phrase compte plus de dix mots.
Et je sais bien qu'à un moment, après m'avoir demandé si j'ai finalement quelqu'un dans ma vie, et surtout si j'envisage d'avoir des enfants, parce que le temps passe vite, et que ce n'est pas grave si je ne suis pas vraiment amoureux d'elle, etc... il va finir la conversation en me disant qu'il doit maintenant me laisser.
Mais que je dois prendre plus de nouvelles.
Et aussi que de toute façon, je peux venir le voir en Martinique quand je veux.
Que la maison est grande ouverte.
Et que bien sûr, je peux venir...

... avec MA copine...
... ou UN ami.

Et une fois de plus, je me contente de répondre avec juste un petit soufflement au téléphone, histoire de notifier que j'ai bien reçu le message.
Alors que là, cette fois-ci, je bous à l'intérieur.
Parce que cette différence, si elle m'amuse souvent un peu, m'agace encore plus.

Absolument pas parce qu'une fois de plus, je perçois un doute extérieur sur ma sexualité, mais parce que je suis fatigué de constater qu'on attend de moi que je clarifie certaines choses pour savoir comment m'aimer, et à quel point.
Ce qui est bien triste.

Alors je le dis sincèrement, je ne suis pas là pour rassurer qui que ce soit, dans mon entourage ou non.
Tout comme je n'ai pas envie de correspondre à tel ou tel stéréotype, sous couvert que c'est quand même plus simple pour tout le monde quand tu coches toutes les bonnes cases.

À vrai dire, c'est même le contraire qui se passe.
Je fais de ce flou involontaire (et à sens unique), une force, une excuse, une provocation pour que toutes ces personnes, avec lesquelles je ne partagerais aucun moment d'intimité, sortent d'une certaine idée de la "normalité".

Tout ça aussi pour que peut-être, à travers moi, on finisse par arrêter de s'étonner lorsque quelqu'un n'est pas ce qu'on imagine de lui...
... à défaut de comprendre que cela ne nous regarde absolument pas.

Bref.
Le 17 décembre 2012, j'ai posté une nouvelle photo de profil, et depuis, tout va bien.
Merci.

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