Épisode 006

"Tu me raconteras..."

20 octobre 2017

Vignette de l'épisode

"... plus tard."

Si j'avais le courage et les compétences pour, j'aurais écrit ce résumé en créole.
Non pas pour essayer de vous faire rire ou sourire, mais parce que le sujet s'y prête véritablement.

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Transcription

Afin de faciliter l'accès à ce podcast aux personnes sourdes et malentendantes, chaque épisode de "J'aime Pas Ma Voix" est aussi disponible au format texte.

Néanmoins, les émotions et les intentions ne sont pas retranscrites, afin de laisser l'espace nécessaire à l'interprétation de chacun•e.

Je l'ai déjà dit, j'écris beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses.

Entre ce podcast et ma future pièce, il y a eu d’un côté tous ces projets réalisés, et de l’autre, ceux que j'ai déjà conceptualisé et qui viendront avec le temps.

Puis il y a aussi ces petites choses que je ne suis pas certain de faire. Les petites histoires qui m'ont volé quelques heures, quelques jours voire beaucoup plus... avant d'être transformées en autre chose, ou définitivement oubliées, parce que j'ai finalement accepté que je ne pourrais pas tout faire.

Dans le lot, j'avais un scénario de film.

Ça devait s'appeler "Tu me raconteras", et c'était l'histoire assez déroutante et tellement originale d'un auteur, qui après le succès discret d'une première pièce de théâtre centrée en grande partie sur sa vie intime, donnait une master class sur son premier long métrage en tant que réalisateur.
À savoir : un biopic fictif sur ses propres parents.

En gros, pour simplifier le tout, moi, Sébastien, Spry, j'avais donc écrit les premières pages de l'histoire d'un film qui racontait l'histoire d'un autre film... qui lui-même racontait une histoire personnelle : celle des mes parents.

Dans ma tête, en tout cas, c'était simple à comprendre.

Dedans, j'avais envie de mettre toutes les petites choses que je n'avais jamais osé avouer, et jouer avec toutes les réponses que je n'ai pas.

Par exemple, un détail tout con :
Ma mère est née aux Antilles. En 1945.
Et depuis tout petit, j'entends les gens se mettre en rogne quand on oublie que les Antilles, c'est une partie de la France.
Du coup, dans mon cerveau malade, je me suis toujours demandé ce que ça pouvait être, de vivre la Seconde Guerre mondiale en étant aux Antilles, et surtout comment mes grands-parents avaient-ils pu oser être heureux au point de coucher ensemble pendant que Paris était occupé.

Alors bien sûr, je sais très bien que je pourrais faire aujourd'hui tout un tas de recherche pour avoir quelques éléments de réponse, mais je préfère vivre encore un peu avec mes fantasmes : parce qu'ils me font rire.

De la même façon, je ne sais absolument pas dans quelles écoles mes parents ont pu aller. Je ne connais pas leurs cursus scolaires, de la maternelle au lycée peut-être, ce qu'ils ont pu faire après ça.
Je soupçonne que mon père a dû faire son service militaire quelque part sur la planète, et que ma mère a suivi à un moment des cours pour devenir aide-soignante, puisque c'est le seul métier que je lui connais.
Mais je ne situe ça nulle part.
Aussi bien chronologiquement que géographiquement.

Et je ne sais pas du tout comment mes parents se sont rencontrés.
Je ne sais pas comment, cette femme guadeloupéenne et cet homme martiniquais, ces faux Roméo et Juliette couleur Madras, ont pu un soir se dire "Salut".

Je ne peux faire que des suppositions, puisqu'elle n'est plus là pour me le raconter, et que lui est incapable de me donner une réponse claire, autre que "tu sais, ta mère et moi, on s'aimait, mais...".

Du coup, dans mon film-thérapie, j'avais envie de parler de comment finalement, j'avais inventé une histoire à mes parents en me basant sur la mienne. Comment ma propre vision de l'amour, des relations hommes / femmes, mes propres histoires de coeur avaient forgé cet instant crucial où j'avais pu venir au monde.

Je voulais aussi parler de ces moments où tu penses que tes parents n'ont jamais été des enfants, des adolescents.
Qu'ils n'ont jamais été qu'adultes.
Et qu'ils n'ont jamais connu d’autres histoires que la leur, même s'ils ne sont plus ensemble aujourd'hui.

Je voulais parler de ce jour où j'ai compris que mon frère n'avait pas le même père que moi, et du très long temps que ça m'a pris pour tilter aussi que ma mère avait donc eu une autre relation avant.
Alors que j'avais bien en tête que les autres enfants de mon père n'avaient toujours été que des demi-frères et des demi-soeurs, parce que je ne vivais pas avec eux, et que j'en ignorais le nombre.

Je voulais parler de ce déclic. Ce moment où, vers 21 ans, j'ai compris que si j'étais né en avril, ça voulait dire que j'étais peut-être le fruit d'une banale histoire de cul pendant le mois de juillet.
Mais que ce n'était finalement pas si grave parce que j'étais en âge de le comprendre, ayant enfin vécu moi-même des histoires que j'étais incapable d'étiqueter en "relation sérieuse" ou "plan d'un soir".

Et je voulais aussi parler de ce moment où je me suis dit que merde, j'étais désormais plus vieux que ma mère quand elle m'a eu.
Que moi, j'étais toujours célibataire, sans enfant.
Et que je ne savais absolument pas si un jour, je pourrais raconter à mon éventuelle fille, ma rencontre avec sa mère.

J'avais surtout envie de raconter l'histoire d'un homme qui finalement, était assez heureux de ne pas avoir eu toutes les réponses, parce que ça lui permettait de tout, tout, tout imaginer.
D'être ouvert à toutes les éventualités.

Et j'avais aussi envie de rendre ce film beau.
De mettre du créole dedans.
Pas du créole dont on se moque, genre "C'est rigolo votre dialecte ! Moi, je ne sais dire que 'Sa ka maché' depuis ma croisière à Marie-Galante."
Non, un créole qui sonne aussi bien que de l'espagnol, dans les films d'Almodovar.

J'avais aussi envie de découvrir mes deux îles.
De les filmer autrement, de ne pas en faire des cartes postales.
De les voir par moi-même. En tant qu'adulte.
Sans être obligés de faire la tourner des maisons où on te présente des oncles, des tantes, des cousins que tu dois faire semblant de reconnaître.

J'avais envie de tout ça.
J'en ai même écrit les très grandes lignes.
Comme cette scène où j'ai environ 8 ans, que je suis avec ma mère, un soir, juste avant qu'elle parte travailler.
Ce court instant pendant lequel j'avais sûrement un truc pas important du tout à lui dire.
Où elle m'a souri, comme elle le faisait très souvent.
Et où elle a laissé échapper ces mots très simples : "Tu me raconteras plus tard."

Ben ouais, maman, je te raconterais plus tard.

Plus tard.
Quand j'aurais l'impression d'être légitime pour le faire.
Quand j'aurais les moyens de faire ça bien.
Quand j'aurais la prétention de croire que mes histoires intéresseront beaucoup plus de personnes que mes potes.
Que mon travail d'écriture sera assez abouti pour ne pas être critiqué sur des choses évidentes, de celles que je reproche objectivement aux autres histoires, aux autres films.

Parce que je n'ai pas envie de te raconter... de VOUS raconter mal.
J'ai un peu envie qu'on vous aime bien, tous les deux, malgré vos défauts.
Parce que moi, en tout cas, je vous aime bien.

Bref.
Oui.
Plus tard.

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